Sortir d'Ecouen et entrer dans le monde
Sortir d’Ecouen et entrer dans le monde
Adieu douce retraite, abri de mon enfance,
Séjour chéri si plein de souvenirs pieux.
Je vais partir... ; tu vois mes pleurs et ma souffrance,
Est-il plus éloquent adieu ?...Journal d'Eugénie Servant, 8e cahier
Les élèves d’Ecouen n’ont pas à rougir de leur réputation : dans une lettre écrite à l’aube de l’ouverture de la nouvelle Maison de Saint-Denis, Madame Campan explique que les familles des élèves récemment sorties du château sont ravies de l’éducation qu’elles y ont reçue. On dit même que « beaucoup se sont très bien conduites et quelques-unes seulement ont fait parler d’elles ».
Le passage d’une section à l’autre est marqué par le changement de couleur de ceinture qui revêt ainsi une valeur symbolique et émotionnelle importante. La dernière, multicolore, annonce l’accomplissement de toutes les sections et l’entrée prochaine dans le monde de celle qui la porte. Ce passage vers l’âge adulte, empreint de nostalgie et d’un sentiment d’appartenance et de camaraderie, permet aussi d’entrevoir les différentes trajectoires auxquelles se destinaient les jeunes filles à leur sortie de la maison d’éducation.
Avoir un métier ?
Adapter le programme à la situation des jeunes filles
Le programme éducatif de Napoléon voulait rendre toutes les filles d’Ecouen capables de tenir un ménage. Mais Ecouen accueillait des jeunes filles de milieux sociaux modestes qui devraient occuper un emploi : la variété des enseignements devaient garantir l’avenir des femmes les moins favorisées.
Ainsi les cours de piano ou de dessin pourront former les jeunes filles à enseigner par la suite. D’autres cours leur permettent d'intégrer les manufactures où elles seront à même de produire « les résultats les plus heureux pour le perfectionnement de l’industrie nationale ».
Valoriser les compétences des jeunes filles
Les maisons d’éducation nouent des liens avec le monde extérieur. Leurs ouvrages sont notamment présentés lors d’expositions comme lors de l'exposition universelle de 1889.
Des concours de dactylographie sont également organisés, où certaines des élèves se distinguent tout particulièrement.
Apprendre la dactylographie et la sténographie
Ecouen a été un établissement pionnier dans la diversification des cours proposés. Dactylographie et sténographie sont intégrées par la suite au programme, deux disciplines qui favorisent largement la professionnalisation des jeunes femmes en sortie d’études.
L’activité bureaucratique se développe au début du XXᵉ siècle. De nombreuses femmes sont recrutées comme sténodactylographes pour produire une masse croissante de documents. Capables de rédiger à la main à la vitesse de la parole grâce à des signes nommés sténogrammes, elles peuvent ensuite taper le texte sur la machine à écrire. Pour attirer les jeunes filles, cette machine est comparée à un piano ; taper à la machine revient à faire des gammes.
Nostalgie et sentiment d’appartenance des anciennes élèves.
L’association des anciennes élèves
Plusieurs élèves gardent un lien fort avec l’école qui les a formées. Quelques-unes sont amenées à rester ou revenir à Ecouen en tant que surveillante ou professeure. Les talents développés lors de leur formation profitent aux générations suivantes par le biais de ce processus de transmission. D’autres y inscrivent leur fille ou petite-fille.
L’engagement envers les maisons d’éducation de la Légion d’honneur transparaît aussi au travers de l’association amicale des Anciennes élèves : celle-ci permet de maintenir des relations d'unité entre les anciennes élèves, d’assister celles qui éprouvent des difficultés et d’aider les jeunes filles qui sont dans les établissements de la Légion d’honneur. Elle témoigne de l’existence d’un sentiment d’appartenance de la part des anciennes pensionnaires.
Des amitiés durables
La maison d’éducation d’Ecouen apprend aux élèves à vivre en collectivité : dortoir, réfectoire, cours, examens et fêtes sont tous partagés avec leurs camarades. C’est l’occasion pour elles de forger de solides amitiés.
Témoignage enregistré le 7 février 2024
Au-delà des photographies témoignant de cette camaraderie, subsistent des témoignages écrits. Ainsi, le livre de souvenirs d’Irène Cervoni conserve précieusement les mots de ses camarades. A la joie de s’être côtoyées à Ecouen se mêle à l’espoir de garder le fil de l'amitié par la suite.
Ecouen est presque tout l’univers des demoiselles qui y sont pensionnaires. Bien qu’il soit parfois difficile d’y vivre, les années qu'elles y ont passées sont formatrices, et la quitter peut être un déchirement.
Avec quelle émotion nous avons fait à notre tour nos adieux à Mère Sainte-Thérèse, ces adieux si douloureux parce qu'ils sont définitifs ! […] Nous nous aimons tant, comme de vraies sœurs ; [...] et plus tard, quels que soient les événements de notre existence, peut-être à des milliers de lieues de distance les unes des autres, ne serons-nous pas toujours unies par la communauté de nos souvenirs.
Journal intime d'Eugénie Servant (9 août 1881, 8ᵉ cahier, p. 65-78)
Des souvenirs forts
Ecouen offre aussi l’occasion de se forger des souvenirs exceptionnels comme en témoignent ces deux récits qui nous montrent également que la Maison, malgré son isolement, reste bien ouverte sur le monde qui l’entoure.
Témoignages enregistrés le 7 février 2024